Le monde Open Source est normalement un espace ouvert où chacun est censé s’exprimer, même et surtout s’il n’est pas en phase avec la « ligne du parti ». Car c’est justement pour répondre au modèle abhorré d’IBM, Microsoft et autres Google, que le libre et l’Open Source existent.

Rappelez-vous la phrase restée célèbre de Richard Stallman, l’un des gourous du monde libre, qui présentait les fondements de sa licence GPL, créée avec Eben Moglen  et qui disait que c’était une « licence qui ne permet à personne de s’approprier le travail des autres, tout en permettant à tous d’utiliser et de modifier le travail des autres ». Liberté contrôlée d’une certaine manière mais liberté quand même.

Et c’est là où les choses se gâtent. Nous en voulons pour preuve la participation spontanée à des projets Open Source et l’attitude de Linus Torvalds.

Le bastion de projets Open Source

Pour avoir tenté de participer à certains projets de développement déclarés dans des plates-formes d’accueil, telles que GitHub ou autres, nous nous sommes rendu compte que nous avions parfois affaire aux mêmes égos que dans le monde propriétaire et que, somme toute, il était aussi difficile de faire avancer les projets, que si on travaillait chez IBM ou Google. Voire pire, car Google a au moins eu l’intelligence de libérer une partie du temps de ses employés pour que ceux-ci puissent s’exprimer librement, sans contraintes autres que celles de rester dans le périmètre d’activité de Google.

Une fausse liberté

En fait, on se rend très vite compte concrètement, dans ces pseudo projets ouverts, que l’on aura les mêmes problèmes d’intégration qu’ailleurs, avec en plus la difficulté de devoir travailler à distance, avec des gens que l’on ne connaît pas et souvent dans des conditions très floues.

Même si vous êtes plein de bonne volonté et que vous voulez vraiment participer à l’œuvre commune et contribuer au « massacre » de Microsoft et d’Oracle, vous vous apercevez très vite que vous n’êtes pas nécessairement le bienvenu, que la simple compréhension du code existant peut s’avérer impossible, que les développeurs sont « volontairement » inconscients, qui ne supportent pas les commentaires et pratiquent l’art de choisir des noms de variables, classes et méthodes, les plus éloignés possibles de leur cible, alors que c’est justement l’un d’eux, Eric Raymond, qui a dit que « la clarté du code était plus importante que la vitesse d’exécution ».

Et que même si vous arrivez à comprendre ce qui existe, vous aurez beaucoup de mal à vous intégrer, car pour participer, il faudra l’accord des fondateurs des projets, ce qui ne sera pas simple à obtenir et que dès que vous proposerez quelque chose, une extension ou une modification, vous vous heurterez à ces mêmes fondateurs, convaincus de leur « savoir-faire », dotés d’une sensibilité à « fleur de peau », qui ne veulent rendre de compte à personne, le plus souvent ne vous répondront pas et que si vous faites le travail quand même, ce sera pour vous apercevoir qu’il a déjà été effectué par quelqu’un d’autre, mais que la « doc » n’est pas à jour…

Et que finalement vous trouvez autant d’Ayatollah du développement dans ces communautés qu’ailleurs.

Evidemment, nous ne saurions faire une généralité de ces comportements, mais que ceux qui n’ont jamais été confrontés à ce genre d’attitude nous lancent le premier mail…

Le mauvais exemple de Linus Torvalds

Dans le cercle très fermé (quoi qu’on en dise) des mainteneurs du noyau Linux, ce n’est pas non plus la joie partagée et la convivialité permanente.

On se rappelle de ce dont se plaignait Lennart Poettering, il y a quelques mois, à l’origine du très décrié systemd, un gestionnaire de services intégré à Linux, qui n’arrêtait pas de recevoir des mails haineux, des menaces de ses « collègues » de lui envoyer un « tueur à gages », payé avec des bitcoins dont la collecte aurait commencée, etc.

Sans oublier Sarah Sharp, qui faisait partie de ces mainteneurs et qui a préféré quitter la communauté à cause des mêmes comportements irrespectueux à son égard, voire de Christophe Hellwig.

De sorte que devant ces attitudes, l’opinion de Linus Torvalds était importante et attendue, lui qui a quand même été à l’origine du mouvement Linux, il y a fort longtemps, quand il était encore étudiant à l’université d’Helsinki en Finlande.

Or si l’on en croit ce qu’il disait lors d’une conférence en début d’année, il arbore le même mépris pour ceux qui auraient l’audace de ne pas être de son avis :

« Je suis quelqu’un de désagréable. Certaines personnes pensent que je suis gentil et certaines sont ensuite choquées en apprenant qu’il en est autrement. Je ne suis pas une bonne personne et je ne me soucie pas de vous ».

Il faudrait préciser trois choses à Linus Torvalds et à tous ceux qui dans ces communautés ont quelque peu disjoncté, sous prétexte qu’ils ont appris à mettre un point-virgule en fin de ligne :

  • que leur comportement nuit grandement à la crédibilité de leur mouvement et explique que 58 % des entreprises américaines de plus de 5000 employés, ne veulent pas entendre parler d’Open Source
  • que la simplicité a toujours été synonyme d’intelligence et que l’une ne va pas sans l’autre
  • que c’est dans le dialogue et le respect des interlocuteurs que l’on trouve généralement la solution

Fort heureusement…

Fort heureusement, la plupart des communautés Open Source ne tombent pas dans ces travers. Et il suffit de regarder ce qui se passe chez Apache, pour être rassuré, qui pourtant n’est pas fréquenté que par des ignares ou d’autres communautés telles qu’Object Web. C’est d’ailleurs souvent une affaire de management et les péripéties tragi comiques comme celles de Torvalds ne sont finalement que des épiphénomènes.

A tous ces « développeurs » et architectes, nous voudrions leur conter une petite histoire.

En 1966, il y a fort longtemps, le physicien Alfred Kastler reçut le prix Nobel pour ses travaux sur les méthodes optiques servant à étudier la résonance magnétique dans les atomes et plus spécifiquement pour sa technique dite du « pompage optique ».

Ce vieux monsieur, tout étonné de se retrouver devant les feux des projecteurs, n’avait pas voulu pour autant interrompre les cours qu’il dispensait en thermodynamique et mécanique physique.

Il avait donc fallu regrouper les deux « contraintes » : télévisions du monde entier et étudiants, dans le même amphithéâtre.

Quand Alfred Kastler est entré, sous les applaudissements de gens qui pourtant, pour la plupart, ne comprenaient même pas le titre donné à ses travaux, il s’est dirigé tranquillement vers le tableau noir et d’une main émue a inscrit un seul mot : « Cohen ».

Et se retournant vers la salle étonnée, il a ajouté comme pour s’excuser « c’est le nom de mon assistant, sans qui rien n’aurait été possible, qui mérite autant que moi le prix qui m’est décerné ».

Nous étions dans la salle et Alfred Kastler restera pour toujours un grand monsieur.