Si l’on nous avait dit il y a quelques années qu’IBM rachèterait l’un des principaux acteurs de la communauté Open Source, nous nous serions retrouvés tout de suite avec une camisole de force. Tant il était impensable que le chantre du propriétaire, celui qui a fait sa fortune en contraignant ses usagers à suivre une offre strictement labellisée IBM, qu’il puisse pactiser avec ce qu’il avait combattu pendant de nombreuses années.

C’est tout au moins la première impression que l’on peut avoir.

Mais elle n’est pas totalement justifiée.

Il est vrai qu’IBM a toujours tenu ses clients d’une main de fer et ne disait-on pas dans les années 80 qu’en choisissant IBM, on payait certes (beaucoup) plus cher, mais au moins on était sûr que ça marcherait.

Et ce jusqu’en 1998, où il s’est produit l’impensable pour une compagnie telle qu’IBM.

La scène se passait au Comdex Fall de Las Vegas, grand-messe de l’informatique, au départ plutôt orientée vers la micro-informatique, mais qui progressivement avait su s’adapter aux autres pans du système d’information, dont celui du développement.

Avant 1998, le symbole d’IBM était le costume 3 pièces, le commercial un peu étriqué qui appliquait les règles de la célèbre « policy », chère à Thomas Watson, dans lesquelles toutes les situations dans lesquelles un vendeur de la compagnie était susceptible de se trouver étaient envisagées, pour lesquelles était prévu le comportement à adopter. Dire que le système était rigide est un euphémisme…

Or en 1998, à la grande stupéfaction des visiteurs, les vendeurs IBM s‘étaient transformés en vendeurs de grande surface, avec des T-shirts floqués de Java, le message étant qu’IBM rejoignait la communauté des technologies nouvelles et non propriétaires et qu’il voulait que cela se sache.

Depuis cette date, plus rien n’a été pareil.

Le premier contributeur à Java

Car IBM s’est totalement imprégné de la technologie Java, dont il a prétendu avoir contribué pour plus de 75 % des évolutions, celles des frameworks Java EE et Java SE, en particulier. Qui aujourd’hui sont pour la plupart tombés dans le domaine public.

Mais en mettant le pied sur les rives Java, IBM a aussi rencontré la communauté Open Source, dont il s’est fait progressivement une alliée.

Il rejoignait en cela un certain Jonathan Schwartz, ex patron de Sun, qui lui-aussi estimait qu’il n’y avait pas d’avenir pour sa compagnie, créatrice rappelons-le de Java, si celle-ci ne s’imprégnait pas totalement de l’Open Source.

Parmi les grands acteurs, il n’y avait somme tout qu’Oracle qui a continué à plus ou moins ignorer l’Open Source, bien qu’il ait proposé lui-aussi des solutions comparables, celle d’un Linux libre en opposition à Red Hat par exemple. Même Microsoft s’est converti à la religion Open Source, .NET, VB et probablement bientôt Windows étant désormais marqués par la licence MIT.

Il est donc faux de dire qu’IBM est resté sourd aux sollicitations de ses utilisateurs et l’annonce de Ginni Rometty, CIO d’IBM n’a finalement surpris personne.

Sauf peut-être sur le montant de l’acquisition de Red Hat, à 34 milliards $, un montant largement supérieur à sa valorisation boursière, estimée à 20,5 milliards $ (190 $ l’action, contre

116,7 $ à la bourse de New York).

La principale raison de cet achat est qu’IBM estime que l’avenir des infrastructures des clients est fortement marqué par le Cloud hybride, c’est-à-dire un mélange d’installations locales dites « on premise » et de ressources portées par le Cloud. En complément, voire transparentes.
Et en cela, IBM a parfaitement raison. Ce sera vrai non seulement pour les infrastructures, mais aussi pour les outils, tels que les bases de données, dont une partie sera hébergée dans le Cloud et le reste en local, le développement, les réseaux, etc.

Or pour monter des Clouds hybrides, on a besoin d’interfaces et d’outils systèmes, dont Red Hat s’est fait la spécialité et qui sont d’ailleurs déjà largement utilisés par la communauté.

Les concurrents d’IBM sur ce créneau ne seront pas AWS ou Oracle, mais plutôt Microsoft, qui s’est déjà aventuré sur ce terrain, avec les dernières versions de SQL Server, entre autre.

IBM va cependant se heurter à un écueil délicat, qui pourrait lui compliquer la vie, celui de l’absence effective de standard, Open Stack ne jouant pas encore pleinement le rôle qui devrait être le sien.

Or pour réussir son pari, IBM aura besoin que les rouages d’intermédiation technique soient incontestables et qu’il n’y ait pas de divergences entre les participants à l’architecture. Le Cloud hybride est très demandeur sur ce point et aucune solution crédible ne sera envisageable tant que ce problème de standards ne sera pas résolu.

Il est d’ailleurs probable qu’IBM mettra tout son poids dans la balance, lui qui est l’un des principaux moteurs de la suite OpenStack, qu’il a déjà largement mise en œuvre dans son contexte, histoire de faire de cette pile la référence que tout le monde devra suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ginni Rometty, la patronne d’IBM compte beaucoup sur les activités de Cloud hybride, pour renouer avec la croissance. C’est un risque évident pour elle, mais aussi une formidable réussite pour Jim Whitehurst, le n°1 de Red Hat, qui sauf dans ses rêves les plus fous, n’a sans doute jamais imaginé que sa compagnie puisse être rachetée 34 milliards $, à 66 % au-delà de sa valorisation boursière…

Une belle affaire pour Red Hat

Dans l’affaire, il est évident qu’IBM prend un risque important, car l’acquisition de Red Hat constitue quand même la plus grosse acquisition qu’il ait jamais réalisée.

Par contre, pour Red Hat, c’est inespéré. D’autant que son patron actuel, Jim Whitehurst, va continuer à diriger l’activité, la seule différence étant qu’il devra désormais reporter à Ginni Rommety. Quant aux 12 600 emplois que Red Hat a créés, ils seront conservés en l’état et viendront gonfler les effectifs d’IBM qui atteindront 370 000 salariés, soit quasiment autant qu’aux meilleurs moments de la Compagnie, dans les années 80/90.