Le jeudi 24 Juin, les britanniques contre toute attente, ont voté en faveur du Brexit et décidé de quitter l’Union Européenne, qui de 28 va passer à 27 membres.
Au-delà de l’émotion que cette décision a entraînée, car c’est la première fois qu’un pays membre se retire de l’organisation européenne, les spécialistes de l’IT se demandent aujourd’hui quelles seront les conséquences de cette décision dans leur domaine et s’il faut prévoir des conséquences négatives, à la fois pour le monde du TI, autant pour les britanniques eux-mêmes que pour les Compagnies étrangères implantées sur leur sol.
Pourquoi les entreprises internationales choisissent-elles le Royaume Uni ?
Dans l’imagerie populaire, l’Angleterre est la destination favorite des grandes entreprises mondiales, celles en particulier qui interviennent dans le monde du TI. Sans que l’on cherche à savoir précisément si ce « fantasme » correspond bien à la réalité.
Il y aurait à cela plusieurs raisons :
- les anglais parlent un américain très correct, avec un léger accent il est vrai, mais cela facilite les contacts…
- le Royaume Uni est l’une des deux plus grandes places financières au monde, la City, les britanniques revendiquant le leadership, largement devant Wall Street. Ce qui est un avantage indéniable, pour des compagnies du TI, dont l’activité financière est parfois aussi importante que le « manufacturing » proprement dit ou le service
- le système bancaire britannique est l’un des plus performants du monde, qui est aussi l’un des plus anciens : HSBC (Hong Kong and Shangai Banking) a été créée en 1865 et possède 9000 représentations dans 80 pays dans le monde. La Barclays dispose de 4750 agences dans le monde, mais aussi la Lloyds l’une des plus anciennes ou la Royal Bank of Scotland. Certes il existe aujourd’hui un tissu bancaire diversifié dans les autres pays, y compris la Chine, mais le fait est que les banques anglaises bénéficient de ce petit plus que l’on appelle la tradition (en buvant du thé) et qui incontestablement rassure et joue en leur faveur.
- en corollaire, le Royaume Uni attire aujourd’hui les sièges de nombreuses entreprises grâce à un système fiscal très avantageux, l’un des plus favorables d’Europe, avec des taxes autour de 20 %, ce qui est très peu. En tout cas c’est ce qui se dit, bien qu’il faille à notre avis moduler cette évaluation et on verra que si pour l’ensemble de l’activité économique, le Royaume Uni attire de nombreux sièges sociaux – certains parlent de 40 % – il n’en est pas de même spécifiquement des entreprises technologiques, celles qui nous intéressent
- le système d’éducation britannique est aussi présenté comme un argument. Mais il est très contestable, car résolument élitiste et ceci depuis le XIX ème siècle, mais surtout, il ne fait plus la loi. Les grandes universités américaines ont largement pris le relais, voire en Europe où des pays comme la France disposent d’un tissu éducatif de premier ordre, que n’ont sans doute plus les anglais
- dans le même ordre d’idées, le Royaume Uni attire une main d’oeuvre étrangère de grande valeur, essentiellement européenne d’ailleurs, qui parle anglais, qui est bien formée et s’intègre dans le tissu économique britannique sans heurts. C’est sans doute ce point qui explique que les londoniens, capitale cosmopolite par excellence, ait voté à plus de 60 % contre le Brexit, capitale dont le maire est depuis peu Sadiq Khan, pakistanais d’origine, qui n’a pas caché son aversion pour la sortie britannique de l’Union Européenne
- la stabilité politique anglaise est aussi un avantage, surtout si on la compare à celle de son plus proche voisin, la France, constamment agitée par des soubresauts syndicaux hors du temps. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en n’a pas eu, mais Mme Thatcher a réglé ce problème en son temps, parfois brutalement, les mineurs Gallois ayant été les principaux concernés par la révolution post-industrielle des années 70. Ces mêmes gallois ayant d’ailleurs voté majoritairement pour le Brexit, alors qu’ils ont été les premiers bénéficiaires des mannes financières européennes et qu’ils ont beaucoup perdu avec le centralisme brutal de l’ère Thatchérienne.
- En tout cas, la stabilité politique de la grande Bretagne est une réalité aujourd’hui, les alternances de partis se faisant en totale quiétude, comme aux Etats-Unis ou au Canada.
- le dernier critère, bien que plus difficile à évaluer, n’en est pas moins réel, est celui du prestige et de la côte d’amour dont bénéficient les anglais. Incontestablement les affaires de cœur de la famille royale passionnent les foules et la planète entière s’attendrit devant le prince William, son épouse Kate Middleton et leurs enfants, à chacune de leurs sorties.
- C’est sans doute difficile à comprendre pour un européen moyen, mais c’est une réalité et les étrangers constatent que les britanniques ont un véritable attachement pour la famille royale, plus que jamais garante de la stabilité du pays. Sentiment qui n’est pas négligeable aux yeux des investisseurs, qui se disent que tant que les anglais applaudiront au passage du carrosse royal, il ne pourra rien arriver de grave à leurs investissements.
La vraie place du Royaume Uni dans le TI
Ceci étant posé, de nombreux commentateurs n’hésitent pas au lendemain du Brexit à brandir le mouchoir rouge de la catastrophe planétaire, le monde ne pouvant évidemment pas se remettre de la défection britannique.
Mais qu’en est-il vraiment ?
Si l’on en croit la dernière étude Forbes qui recense les 2000 entreprises les plus importantes du monde, qui ont fait globalement un chiffre d’affaires de 39 trillions de $, le Royaume Uni ne représente que 92 de ces entreprises, soit 4,6 % du total. Loin derrière les USA avec 540 entreprises, le Japon, avec 219 entreprises et la Chine avec 200 entreprises.
Si l’on ne considère que le monde du TI, aucune entreprise britannique ne fait partie du club relevé des 20 plus grosses compagnies mondiales.
D’un simple point de vue comptable les britanniques en tant qu’entreprises IT ne sont donc pas une puissance de premier plan.
Mais on peut considérer le problème d’un autre point de vue.
Parmi les 20 majors du TI dans le monde, combien ont leur siège européen au Royaume Uni ?
En fait, relativement peu. Apple est à Cork en Irlande, HP est en Suisse à Meyrin, IBM très éclaté dans de nombreux pays, Alphabet à Dublin (Irlande), de même que Dell, Cisco est à Amsterdam et EMC à Cork.
En fait parmi les 20 plus grosses entreprises mondiales de l’informatique, il n’y a que Samsung (Londres), mais celui-ci compte « émigrer » en Pologne à Varsovie, Sony (Basingstoke), Oracle (Reading), Qualcomm (Londres), Xerox (Uxbridge) qui sont en Angleterre.
Et le Royaume Uni ne fait pas donc mieux que l’Irlande, qui accueille 5 grands noms du top 20 : Apple, Alphabet (Google), Dell, EMC et Facebook.
Mais à la limite, pour les britanniques, l’important n’est pas là. Car si le Brexit doit entraîner des conséquences néfastes pour eux, ce sera au niveau de la production, dans les usines, là où se trouve l’essentiel de la main d’œuvre.
Or le Royaume Uni n’est plus cette immense usine qu’il était au XIX ème, voire au XX ème siècle. Il s’est progressivement tourné vers les activités de services et a abandonné une grande partie de son activité industrielle.
Pour s’en convaincre, il suffit de lister les entreprises du Top 20 précédent pour se rendre compte, que très peu d’entre elles ont une activité industrielle sur le territoire britannique, les entreprises préférant des pays à faible coût social et humain, comme la Pologne, la république tchèque en Europe et bien entendu les pays asiatiques, imbattables sur ce point.
De sorte que si l’on se résume, dans le domaine du TI, le Royaume Uni est plus une image qu’une réalité industrielle.
Que va-t-il se passer ?
Le problème est à considérer autant pour les britanniques que pour les étrangers.
Côté britannique, la livre sterling va probablement perdre de 20 à 30 % de sa valeur dans les 2 ans à venir et les compagnies qui travaillent dans le monde du TI, seront impactées différemment selon qu’elles facturent en livres ou dans une devise pivot comme l’Euro ou le Dollar. Les premières vont voir leur chiffre d’affaires augmenter, comme les commerçants de Regent Street qui voient le leur bondir depuis l’annonce du Brexit, les autres devant s’attendre à voir leurs marges s’éroder, le Dollar et l’Euro allant se raffermir par rapport à la Livre.
Mais tout compte fait, ce n’est pas cela qui va bouleverser la planète, car le Royaume Uni, étendu à la Grande Bretagne (l’Ecosse et le Pays de Galles en plus), n’est pas un gros producteur de biens TI. Ce n’est pas là que l’on fabrique les serveurs, les périphériques et les équipements de télécommunications. L’influence du Brexit sera donc de ce point de vue négligeable.
Se pose ensuite la question du déménagement éventuel des « Headquarters ». Comme ont menacé de le faire certains établissements bancaires.
Mais pour l’essentiel, les compagnies de l’IT ne déménageront pas, car l’enjeu n’en vaudra pas la chandelle, s’il faut opposer le coût démesuré que représenterait un changement de site « headquarters », versus le gain qu’il pourrait engendrer.
Les Headquarters qui se trouvent au Royaume Uni y resteront et ceux qui par extension se trouvent en grande Bretagne, en Irlande plus précisément, ne bougeront pas.
On se demandera ensuite ce qu’il va advenir des personnels étrangers qui travaillent dans les entreprises britanniques du secteur TI, mais aussi des britanniques qui travaillent en dehors de leurs frontières.
Pour les premiers, ils risquent de vouloir quitter le pays, si on continue à les payer en Livres et rechercher des pays plus accueillants, sans que ce soit un exode planétaire. Quant aux seconds, les techniciens, ingénieurs, commerciaux et chercheurs du TI, qui se trouvent aux Etats-Unis et en Europe, rien ou presque ne changera pour eux. Il y aura statu quo.
Mais alors, si les personnels ne bougent pas et que les sièges sociaux restent là où ils sont, quelles seront les conséquences du Brexit ?
Sur le court terme, probablement très faibles. Et ce n’est pas parce que les journalistes fantasment sur le sujet, que les entreprises se détourneront de la City ou décideront de ne plus embaucher d’ingénieurs qui auraient fait Cambridge ou Oxford.
Si le « désaccord » se traduit rapidement (dans les 6 mois) par de nouvelles ententes entre l’Union Européenne et la Grande Bretagne, il ne se passera pratiquement rien.
Les effets sur le long terme
Le Brexit peut, par contre, avoir des effets dévastateurs pour les grands projets européens, surtout si d’autres pays, comme la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie et les Pays-Bas, par effet domino, demandent à leur tour un référendum, dont on connaît par avance le résultat, tant leur europhobie est connue depuis toujours.
Un projet tel que Galileo, système de géolocalisation européen, aurait plus de difficulté à voir le jour. De même l’idée d’un Cloud européen, indispensable pour concurrencer valablement Amazon, IBM et les autres, serait plus difficile à monter, car la facture à payer par les pays restants risquerait d’être très élevée.
D’une manière générale, beaucoup de projets de recherche, initiés par la Communauté Européenne, pourraient sinon être arrêtés, du moins remis en question, dans les domaines des communications cellulaires (5G), des infrastructures à très haut débit (backbones à fibres optiques transfrontaliers), des réseaux de transport à basse consommation pour les objets et capteurs, mais aussi plus globalement dans celui de la recherche informatique, vitale pour le futur.
Bye Bye Britain, Welcome Britain
Pour ce qui nous concerne au TI, hormis quelques remous financiers, somme toutes beaucoup moins importants que ceux que l’on a connus avec la crise de 2008, il ne devrait pas se passer grand-chose. Et dans quelques mois, on ne parlera plus du séisme Brexit, d’autant qu’entre temps, les Etats-Unis seront venus remplacer les partenaires européens, qui pourraient faire défaut.
Car de toute façon, les britanniques se sont toujours sentis traditionnellement plus proches des américains que des européens, allemands et surtout français.
Ce qu’avait tout à fait compris le Général de Gaulle, qui au début des années 60, avait mis son véto à 2 occasions à l’entrée de la Grande Bretagne dans ce qui était alors le « Marché Commun », considérant que celle-ci était plus naturellement tournée vers le grand large, que vers les côtes proches de l’Europe.
De Gaulle avait raison à l’époque et la crise du Brexit, lui a donné raison 50 ans plus tard.
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